De paysagiste à la linogravure : Lucie Lesieur nous raconte son parcours de reconversion professionnelle

Autrefois, dans le monde du travail les études permettaient de choisir un métier et d'y faire carrière en montant les échelons. Il était donc tout naturel de suivre un chemin continu et mal perçu de changer de voie vu comme un échec au cours de sa carrière ou de ses études. Néanmoins, de plus en plus de personnes de nos jours se sont reconverties pour suivre une voie avec laquelle elles sont en adéquation. La pandémie du COVID-19 a donc accéléré le processus où la plupart de la population s'est retrouvée en temps partiel, en télétravail ou malheureusement au chômage. Pendant ce temps en suspension qui a frappé le monde, le retour à l'essentiel et les remises en questions ont permis à de nombreuses personnes de s'adapter, de créer ou de changer de métier. La reconversion professionnelle a donc connu un essor où désormais la santé mentale prime sur le travail en société...


Outils de linogravure employés par Lucioles & Stamp
La reconversion professionnelle dans la linogravure, un univers artisanal et créatif
crédit photo : Lucioles & Stamp


Nous interviewons aujourd'hui sur MilkyAway Mag Lucie Lesieur fondatrice de Lucioles & Stamp, une jeune entreprise artisanale qui évolue dans le domaine de la linogravure basée dans le Sud de la France. Activité manuelle et créative, la linogravure reste un métier assez technique où le graveur fait preuve d'une grande méthodologie, de logique ainsi que de dextérité en manipulant des outils afin d'exercer son art. Des estampes subtiles et finement imprimées de motifs végétaux, animaliers ou abstraits dévoilant des tableaux aux paysages ou encore d'infrastructures détaillés... Lucie Lesieur est l'une de ces personnes qui ont eu recours à la reconversion professionnelle souvent mal vécue par l'entourage qui ne comprend pas ce choix de changer de voie subitement. Ce changement est généralement assimilé par l'entourage à un coup de tête voir une idée fugace et tente donc de "raisonner" la personne désirant trouver sa propre voie en devenant un barrage. Cette transition affectant la perception du monde du travail est pourtant le fruit de longues réflexions et de remises en question personnelles et / ou professionnelles de ces personnes désireuses de changer d'activité en cohésion avec leurs personnalités ainsi que de leurs valeurs. Malgré cet affront de par l'entourage, beaucoup trouvent la force de continuer vers leurs désirs en faisant des formations ou ayant des certifications afin d'exercer le métier qui leurs plaisent vraiment.



Avant d'être dans l'art de la gravure qu'est la linogravure, Lucie Lesieur évoluait dans le paysage et l'aménagement d'espaces verts. Ainsi plans, croquis, botanique et mise en valeur d'espèces végétales étaient le quotidien de Lucie qui faisait des études dans ce milieu. Architecte de l'environnement et des jardins, elle se rendit compte que ce n'était pas ce qui la faisait vibrer. Peu à peu ce monde devenait hostile pour elle et c'est avec la boule au ventre qu'elle s'efforçait de continuer dans cette branche. À contre-sens de ce qu'elle désirait vraiment et pour éviter d'être en conflit au sein de sa famille, elle perdurait dans ses études de paysagiste. Jusqu'au jour où son corps tira la sonnette d'alarme et où il n'y avait plus de retour en arrière car elle avait dépassé les limites, ses limites. Entre dissonances cognitives dus aux attentes de son entourage et de ce qu'elle souhaitait vraiment, Lucie a pris son courage à deux mains, a sorti ses tripes et a écouté son coeur pour créer de ses mains avec la linogravure.


Portrait de Lucie Lesieur fondatrice de Lucioles & Stamp
Lucie Lesieur, fondatrice de Lucioles & Stamp
crédit photo : Lucioles & Stamp


MilkyAway Mag : De paysagiste à Lucioles & Stamp, une enseigne de décoration d'intérieur proposant des cartes à encadrer en linogravure. Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours et comment s'est donc passée ta reconversion professionnelle ?

Lesieur Lucie : Initialement, je suis paysagiste. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui ont pu me payer des études assez longues (Bac +6). Le problème, c'est que ça ne me plaisait pas et que j'ai eu du mal à l'admettre. Je me sentais mal vis à vis de mes parents. Seulement, à force de se forcer justement, au bout d'un moment, le corps s'exprime au lieu de la tête. Après la fin d'un contrat de presque 1 an, j'ai ressenti comme un blocage dans le ventre. L'idée de refaire du paysage m'angoissait tellement que je me suis dit simplement stop. Le souci après c'est que à par ça, je ne savais rien faire... J'ai fait une première tentative de reconversion avec un organisme affilié à Pôle Emploi sans succès. C'était trop général et ça ne m'a pas convenu... S'en est suivit la pandémie et le premier confinement. C'était extrêmement frustrant comme situation, j'étais coincée physiquement et mentalement. La première chose qui m'est apparue cependant, c'est que j'avais envie et besoin de faire quelque chose de manuel. J'ai commencé à dessiner. Mais je voulais découvrir autre chose et je suis tombée sur un blog qui parlait de linogravure ! Pour être honnête, je suis encore en train de chercher ce qui me convient professionnellement. Il me faut quelque chose en plus de la linogravure, un travail d'équipe où je ne suis pas seule tout le temps... Je ne sais pas quoi encore !




MilkyAway Mag : Pourquoi la linogravure et pas un autre métier artisanal ? 

Lesieur Lucie : La linogravure m'a tout de suite interpellé. C'est comme quand on rencontre quelqu'un et qu'une connexion se fait de manière immédiate. Je me suis dit : je veux essayer ça !




MilkyAway Mag : Comment as-tu su qu'il était temps pour toi de te reconvertir ?

Lesieur Lucie : J'avais déjà eu des indices pendant mon cursus scolaire. Angoissée, stressée... On avait un projet de paysage à faire et j'avais l'impression d'être à côté de la plaque à chaque fois. Je n'avais pas d'idée de projet, je ne savais pas par où commencer, je me disais que j'avais un problème et que je n'étais pas assez douée. Après l'école, c'est à la fin de mon premier emploi que les choses se sont manifestées plus fortes. C'était un contrat de 6 mois. Je sentais qu'ils n'allaient pas me garder. Mais au lieu d'anticiper puis de chercher du boulot ailleurs, j'ai été incapable de quoi que ce soit. Pendant 4 mois (voir plus) après la fin de mon contrat, je n'arrivais tout simplement pas à chercher du travail. J'étais comme pétrifiée à l'idée de travailler à nouveau en agence de paysage. J'avais un blocage monstre. J'ai quand même fini par postuler à une offre et je suis restée presque 1 an dans cette nouvelle agence... Qui a fini par me dégoûter complètement de ce métier. À la fin du contrat, le blocage s'est manifesté encore plus fort, je l'ai ressenti dans mon ventre. Ma tête était incapable de me projeter à nouveau dans ce métier. C'est comme si il y avait un barrage immédiat. Et là, je me suis avouée que je ne voulais plus être paysagiste. J'ai d'ailleurs aujourd'hui encore du mal à me dire que ce n'était pas moi le problème, que c'est tout simplement que ce métier n'était pas pour moi.




MilkyAway Mag : La reconversion professionnelle peut être mal perçu par l'entourage qui reste dans une certaine incompréhension. As-tu eu des tensions avec ceux qui t'entourent ? Comment as-tu pu leur faire comprendre et / ou expliquer ton choix ?

Lesieur Lucie : Quand j'ai annoncé à mon entourage que je ne voulais plus être paysagiste, ils ont été compréhensifs. Mais plus le temps a passé, plus ça a été compliqué. Certains membres de ma famille ont essayé à plusieurs reprises de dire : "Tu es sûre que tu ne veux pas essayer une dernière fois ?", ou simplement faire des commentaires comme : "Mais il y a pleins de choses à faire dans le paysage...". Le regard des autres est très compliqué quand on est dans ce genre de situation. Les gens projettent sur notre situation leurs craintes. Mes parents, les amis des parents, tout le monde y va de son petit commentaire. Encore aujourd'hui, c'est très compliqué, encore plus depuis que je fais de la linogravure. Comme c'est de l'artisanat, j'ai tout de suite eu des commentaires comme : "C'est pratiquement impossible d'en vivre", ce genre de chose. Certains membres de ma famille ne voient pas ce que je fais comme un travail et me le font sentir. C'est vrai que c'est source de tension. Mes parents veulent que je fasse un métier qui les rassurent, moi je veux faire quelque chose qui me plaît. Je suis d'ailleurs toujours en phase de recherche... Mais je dois avouer que je me sens souvent tirée vers le bas, plutôt que poussée à essayer des choses, d'expérimenter... Les discours alarmants sur la retraite, la précarité et j'en passe... J'y ai eu le droit. Je comprends l'inquiétude de mes parents, c'est pas pour autant que je cautionne certains discours / comportements. C'est vrai  que même si je suis soutenue par d'autres de mes proches et  mes amis, je me sens quand même seule et petite.




MilkyAway Mag : Évoluant maintenant dans l'artisanat, la linogravure est-elle un univers concurrentiel ? Qu'est-ce qui t'inspire et te plaît dans ce nouveau métier au savoir-faire authentique ?

Lesieur Lucie : Il y a toujours de la concurrence c'est sûr, je sais qu'il y a d'autres personnes qui en font dans les environs. C'est pas le milieu le plus concurrentiel, en tout cas, je ne l'ai pas ressenti pour le moment. En fait, on peut faire tellement de choses grâce à la linogravure qu'il y a toujours moyen de proposer des produits différents : des affiches, des cartes, des lampes, des totes bag,... Des motifs floraux, animal, paysage, abstrait, ésotérique, spirituel... C'est tellement large tant sur le sujet que sur le graphisme, que c'est facile de ne pas proposer la même chose que le voisin. Ce qui me plaît dans ce nouveau métier, c'est de tout créer par moi-même. D'utiliser mes mains. J'ai une idée, je teste, je fais des allers-retours... C'est parfois très frustrant quand je n'arrive pas au résultat que je veux, quand je ne trouve pas ce que je cherche non plus... Mais quand je parviens à mes fins, je me sens fière. Et surtout, j'exprime mon côté créatif d'une manière qui me convient et qui me plaît.




MilkyAway Mag : La reconversion professionnelle est aussi un cheminement personnel apposé sur un projet professionnel. Quels conseils donnerais-tu à une personne souhaitant se reconvertir dans le milieu artisanal ?

Lesieur Lucie : Mmmm... Je pense qu'il ne faut pas se prendre le chou. Je dis ça dans le sens où il ne faut pas hésiter à faire, et à montrer ce qu'on fait même si ce n'est pas facile ! Les gens aiment quand on partage nos expériences, nos tests qu'is soient bons ou mauvais. Et je dirais une phrase que ma soeur me répète, qu'elle a elle-même entendu je ne sais plus où :


"L'auto-entrepreneuriat ce n'est pas un sprint, c'est un marathon !"


Alors, il faut garder le cap et être patient.


Illustrations Hibiscus avec la méthode de linogravure par Lucioles & Stamp
Des hibiscus imprimés via le procédé artisanal de la linogravure par Lucioles & Stamp
crédit photo : Lucioles & Stamp




Le mot de la fin...

L'artisanat est vraiment une décision que je ne regrette pas. J'ai pu découvrir de nouvelles choses, de nouvelles personnes et apprendre à me connaître un peu plus 😁. Le chemin est encore long, je n'ai pas encore élucidé tout ce qu'il faudrait pour que je sois bien dans ma vie professionnelle. Mais pour rien au monde je ne ferais les choses autrement. Quand j'aurais 70 ans, je ne veux pas avoir de regrets et me dire : "j'aurais dû essayer...".




Pour en savoir plus sur Lucioles & Stamp :


Instagram® : @lucioles.and.stamps

Site : LuciolesAndStamps

Article MilkyAway blog Lucioles & Stamp, de la déco artisanale en linogravure pour habiller son cocon douillet !



Nous tenons à absolument remercier Lucie Lesieur pour nous avoir accordé du temps pour cette entrevue ainsi que sa confiance et surtout pour nous avoir parlé de sa reconversion professionnelle à coeur ouvert. Un sujet certes un peu complexe à aborder voire même tabou auprès de son entourage qui ne comprend pas forcément les choix de la personne souhaitant changer de voie le plus souvent à 360 degré. Pourtant, pour le bien-être mental de la personne comme Lucie nous en a touché quelques mots, il est primordial de se sentir en phase avec ce que l'on ressent et souhaite pour soi. L'entourage étant important en termes de soutien, peut également avoir un impact pouvant freiner ou au contraire donner de l'élan sur un projet professionnel auquel on souhaite aspirer. Néanmoins, l'essentiel lorsque l'on entreprend reste cette vibrance que l'on a avec certaines activités qui nous permet coûte que coûte de se surpasser afin de faire ce que l'on aime au plus profond de nous...



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